Chrysler Turbine : un jet à 4 roues

Publié le 26 novembre 2019 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

Dans les années 50, le style automobile est fortement influencé par l’aéronautique et ses nouveaux avions à réaction. Mais pas seulement le style, car plusieurs constructeurs, dont GM, Ford, Fiat et Rover, travaillent sur des autos utilisant une turbine à la place du classique moteur à combustion interne.

Mais c’est Chrysler qui va prendre la tête dans ce domaine grâce à l’ingénieur Georges Huebner. Ce dernier est l’inventeur d’un échangeur de chaleur rotatif qui offre le double avantage d’améliorer la consommation et de réduire la température des gaz de sortie, un problème difficile à résoudre jusqu’ici.

Les premiers essais sont réalisés fin 1953. Une deuxième génération de moteurs est présentée en 1956, puis une troisième en 1960. Ce sont des Plymouth ou des Dodge à peine modifiées qui reçoivent ces moteurs, jusqu’à l’extravagant concept Turboflite de 1961.

Devant la réaction du public et les bons résultats obtenus en essais, Chrysler décide d’aller plus loin.

Un plan ambitieux

Le 14 février 1962, Chrysler annonce qu’elle construira entre 50 et 75 automobiles à turbine et que ces autos seront disponibles sans frais pour des conducteurs sélectionnés d’ici la fin de 1963 afin d’évaluer cette technologie dans des conditions d’utilisation variées. Et pour cela, Chrysler ne se contentera pas d’adapter des autos existantes mais fera dessiner un tout nouveau modèle.

C’est sous la houlette de Elwood P. Engel qu’est dessinée la Turbine. C’est pour cela qu’elle offre quelques similarités avec les Thunderbird 61-63, Engel ayant travaillé auparavant chez Ford. Les lignes sont spectaculaires avec des phares donnant l’impression d’être des entrées de réacteurs d’avion et un incroyable décroché à l’arrière laissant la place à ce qui ressemble à deux sorties de turbopropulseur.

À l’intérieur, le thème de la turbine est aussi présent, notamment au niveau de la console centrale. Sur le tableau de bord, deux choses étonnent : le compte-tours est gradué jusqu’à 60 000 tr/min et l’indicateur de température jusqu’à 2 000 degrés Fahrenheit (1 093 degrés Celsius)!

Turbo!

Un moteur à turbine fonctionne généralement en 3 étapes : compression de l’air d’admission (qui fait monter sa température), mélange avec du carburant et allumage, détente du gaz entraînant une roue à pales (la turbine) montée sur l’arbre de sortie. Les avantages sont nombreux : moins de pièces (80% en moins selon Chrysler), lubrification simplifiée, moins de vidanges nécessaires, possibilités d’utiliser différents types de carburants et absence presque totale de vibrations.

En revanche, l’engin a des défauts : une consommation plus importante, un temps mort à l’accélération et de hautes températures de fonctionnement. Dans les faits, la quatrième génération de moteurs à turbine Chrysler, baptisée A831, demanda à Chrysler de gros efforts d’ingénierie dans le domaine de la métallurgie. Elle développait 130 chevaux et 425 lb-pi de couple avec un ralenti situé à 22 000 tr/min.

Elle pouvait fonctionner avec du diesel, de l’essence aviation, du kérosène, de l’huile de chauffage ou de friture et même du parfum…mais pas de l’essence au plomb, alors la plus répandue.

Lors d’une tournée promotionnelle au Mexique, le président mexicain Adolfo Lopez Mateos conduira même un exemplaire roulant à la tequila! Le moteur était accouplé à une transmission Torqueflite modifiée, la turbine faisant elle-même office de convertisseur de couple.

La turbine prend son envol

Cinq premières voitures sont construites à des fins de tests internes et de promotion (dont une blanche, qui apparaîtra dans le film The lively set, avec James Darren). La Turbine est présentée à la presse le 14 mai 1963, à New York. Puis, c’est la production des voitures « clients » qui commence en octobre 1963, à raison d’une par semaine.

Cinquante seront produites chez le carrossier Ghia à Turin et elles seront toutes identiques : extérieur couleur turbine bronze, toit vinyle noir et intérieur en cuir bronze. Une fois arrivées chez Chrysler, les autos recevaient le groupe motopropulseur avant d’être livrées.

La campagne de test commence en octobre 1963 et durera jusqu’en octobre 1966. Pendant cette période, 203 personnes auront la voiture en prêt, chacune durant 3 mois. En échange, elles doivent maintenir la voiture propre et tenir un journal de bord.

L’entretien était réalisé par un technicien spécialisé de chez Chrysler. Finalement, la Turbine s’avérera fiable et les seuls défauts relevés par les essayeurs seront le délai au démarrage et la consommation élevée. Beaucoup apprécieront le bruit du moteur à turbine, donnant un côté futuriste.

La Turbine s’écrase…

Le programme est considéré comme un succès par Chrysler et l’étape suivante est une production en petite série. Un coupé fastback est dessiné et on parle d’une première série de 500 exemplaires. Pourtant, le projet est arrêté net. En effet, le gouvernement américain va promulguer de nouvelles normes de pollution et le moteur à turbine ne passera pas les niveaux recommandés d’oxyde d’azote (NOx).

Le dessin du coupé est recyclé et deviendra la Charger 66 (avec une nouvelle calandre). Après octobre 1966, les 50 autos sont rapatriées chez Chrysler et sont envoyées à la casse pour y être écrasées! Chrysler considérait ces autos comme des prototypes et elles ne pouvaient remplir les exigences légales pour rester sur la route (comme GM et ses EV1 dans les années 2000). Vous pouvez voir une vidéo de la destruction des autos plus bas…amateurs au cœur sensible s’abstenir!).

Chrysler continuera plus tranquillement le développement de la turbine jusqu’en 1979 (incluant un concept sur base de coupé LeBaron avec un avant modifié), allant jusqu’à une septième génération de moteurs. À ce moment, la compagnie luttait pour sa survie et le programme turbine passa à la trappe sans la moindre cérémonie.